Matière à réflexion

Transition dans le secteur de l’alimentation et de la vente au détail

Eric Van den Broele, Pierre-Alexandre Billiet & Bruno Colmant

9 min.
10/07/2023

Il va sans dire que le secteur des grands magasins et l’ensemble du secteur de la vente au détail sont soumis à de fortes pressions. C’est avec impatience - presque avec panique - que nous voyons les acteurs de l’industrie rechercher un nouveau modèle d’entreprise. Il est évident que la rentabilité doit revenir à des niveaux acceptables. Mais ce n’est pas tout.

En discutant avec des responsables du secteur, les auteurs perçoivent avant tout une volonté inébranlable de rendre la transition vers le Green Deal et les ESG urgente et solide. Les cadres supérieurs des grands magasins et des producteurs de denrées alimentaires s’efforcent, par exemple, de proposer des produits alimentaires à la fois sains, durables et abordables pour les utilisateurs finaux et les producteurs. Entre autres, en raccourcissant considérablement les chaînes d’approvisionnement. Cela déclenche une recherche active et urgente de nouveaux processus de production et de systèmes logistiques. La construction d’une chaîne alimentaire de meilleure qualité au bénéfice de tous implique en fin de compte la participation active de chaque acteur. Le secteur agricole, les producteurs de denrées alimentaires, les transporteurs et l’ensemble du secteur de la vente au détail, y compris les commerces de proximité, sans oublier les consommateurs, sont donc confrontés à un changement fondamental. Un examen approfondi de l’ensemble du secteur, réalisé par GraydonCreditsafe en collaboration avec Gondola, spécialiste de la vente au détail, montre que moins d’un tiers de ces entreprises sont plus ou moins prêtes pour la transition.

Un tiers des entreprises auront la tête sous l’eau

La transition envisagée nécessite des investissements. Les enquêtes menées dans les secteurs de l’alimentation et de la vente au détail révèlent que les besoins en investissements de transition sont à peu près équivalents à 5 % du chiffre d’affaires. En supposant que les entreprises de ce secteur financent cet investissement à partir de leurs bénéfices, moins de la moitié (49,52 %) d’entre elles sont en mesure d’assurer cette transition. Par ailleurs, certains acteurs disposent de réserves excédentaires stance aux chocsimportantes. Comprenez le fonds de guerre. S’il est utilisé, 17,11 % des entreprises peuvent gérer la transition de manière indépendante. Sans intervention supplémentaire, un tiers de ces entreprises finiront par se noyer dans la transition.

Le laissez-faire n’est pas une option. Les entreprises « autonomes » ne peuvent pas absorber les entreprises « qui auront la tête sous l’eau ». Des rayons vides et même des pénuries alimentaires radicales sont à craindre. Une fois de plus, les subventions massives augmentent encore l’hypothèque que nous prenions déjà sur l’avenir de nos enfants. Il est donc grand temps de présenter des scénarios fondés sur des données, et donc sur des faits. Les scénarios fondés sur des données montrent ce que des choix prospectifs possibles entraîneront. L’homme qui choisit son avenir est soutenu par la connaissance. Non pas par des suppositions.

Supposons que l’industrie parvienne à augmenter ses marges de 5 % et à assurer cette transition. Dans l’environnement concurrentiel actuel, c’est presque impensable. Le consommateur paierait alors la facture. Nous voyons ici la goutte d’eau qui risque de faire déborder le vase. Le nombre d’entreprises qui peuvent actuellement financer la transition à partir de leur réserve de bénéfices (52,25 %) n’augmente même pas de 3 %.

Une autre piste implique la recherche de leviers puissants où un coût social minimum se traduit par un effet d’investissement de transition maximum. Nous explorons deux scénarios.

Déduction des intérêts notionnels et prêts bancaires

Nous avons pris connaissance de la recommandation de la Commission européenne concernant DEBRA (debt equity based reduction allocation). Pourtant, notre gouvernement a récemment supprimé la déduction similaire des intérêts notionnels, introduite en 2006, afin d’économiser 176 millions d’euros. Toutefois, notre analyse récente et approfondie de l’évolution des données historiques à cet égard montre que pour chaque point de pourcentage d’augmentation de la déduction des intérêts notionnels, le volume total des fonds propres augmente de 0,672 %. Ces chiffres semblent peu importants, mais traduits librement au niveau belge, cela signifie que si nous instituons une sorte de mesure de déduction des intérêts notionnels avec une déduction de, disons, 5 %, nous mesurerons une augmentation des fonds propres de près de 20 milliards. Cela alors que l’État ne perdrait dans un premier temps que 250 millions de recettes. En effet : dans un premier temps, parce qu’au fil du temps, les nouveaux fonds propres devraient être rentabilisés et créer ainsi de nouvelles recettes fiscales. Les nouvelles recettes réduisent le coût social à pratiquement zéro. L’effet de levier est tout simplement spectaculaire. Si nous établissons un lien entre la déduction et l’exigence de concentrer pleinement les capacités nouvellement injectées sur la transition, la boucle est bouclée.

Dans un deuxième scénario, nous supposons que, par le biais de garanties publiques - et toujours en combinaison avec une fiscalité basée sur les transactions - notre gouvernement encourage les emprunts bancaires. De toute façon, toutes les entreprises ne sont pas en mesure de contracter un prêt sans aucune difficulté. Parfois, la capacité d’emprunt est déjà remplie. Parfois, elle est trop petite, tout court. De plus, après la COVID, les banques semblent être un peu plus réticentes. De plus, dans le contexte des évolutions actuelles, elles préfèrent prêter à des entreprises prêtes pour les ESG, plutôt qu’à celles qui doivent encore se réinventer complètement dans ce domaine.

Suivre l’argent

En appliquant conjointement les deux scénarios de mécanismes de financement externe, nous constatons que le nombre d’entreprises qui font face à la transition augmente de 5,22 %. Il s’agit donc de mesures raisonnables, mais près de 25 % des entreprises du secteur de l’alimentation et de la vente au détail mordent toujours la poussière. Les besoins d’investissement qui ne peuvent être satisfaits de manière autonome s’élèvent à 1,4 milliard d’euros.

Et puis il y a cette autre piste : suivre l’argent.

Dans le secteur de l’alimentation et de la vente au détail, certaines entreprises n’ont pas besoin de puiser dans leurs réserves grâce à leur volume de bénéfices. Si elles utilisent un mécanisme d’intérêt notionnel, le gouvernement pourrait recevoir 540 millions d’euros en plus. En outre, nous trouvons des entreprises dont les réserves excédentaires s’élèvent à près de 11 milliards d’euros. Nombre de ces entreprises « autonomes » disposent de réserves ou d’excédents importants, même après les investissements de transition. Il n’est donc pas inconcevable que nous soyons confrontés à d’importantes vagues de rachats dans les années à venir. Certaines grandes entreprises mangent les petites. Socialement, ce n’est pas souhaitable. Cela conduit à la standardisation, à l’appauvrissement de l’offre, à la perte de créativité, la Belgique devenant extrêmement dépendante des acteurs internationaux pour son alimentation, son approvisionnement et sa distribution. À long terme, cela appauvrit notre poids économique et social et notre stabilité, notre résilience économique et notre cohésion sociale. Et nous devenons dépendants des acteurs internationaux pour nos besoins de base.

Incitations fiscales

Il est certain que dans le cadre du Green Deal et de l’effort relatif aux ESG - un projet européen prometteur et clairement tourné vers l’avenir - une pensée systémique juste (le mot tendance « écosystèmes » est de plus en plus employé) est fondamentale. En gardant à l’esprit l’effet de levier, nous préconisons d’élaborer des régimes fiscaux qui encouragent les entreprises disposant de réserves excédentaires à les investir partiellement dans des entreprises de leur chaîne logistique, voire dans des pairs, à condition que le taux de participation des participants reste mineur. Ainsi, les entreprises autonomes soutiennent les entreprises dépendantes. Celles-ci, à leur tour, sont renforcées, créant de nouveaux partenariats où le pouvoir créatif de chaque membre renforce fondamentalement l’ensemble. Et inversement.

De cette manière, les grandes entreprises soutiennent les startups, l’innovation et le progrès, dans le cadre de la réflexion sur l’avenir de la nouvelle consommation.