Augmentation des défaillances dans l'industrie manufacturière : causes, conséquences et dangers latents

Les turbulences augmentent pour les fabricants en Allemagne, en France et en Italie

En 2024, ce sont les perturbations du secteur manufacturier qui ont eu le plus d'impact sur les trois plus grandes économies européennes. L'industrie manufacturière allemande a été la première touchée par la forte hausse des prix de l'énergie, qui a considérablement ralenti la production industrielle. Alors que les défaillances ont stagné dans une fourchette de 1 000 entreprises entre février 2023 et février 2024, la production industrielle devrait encore baisser de 1,5 % en 2024. Dans la plus grande économie d'Europe, cela pourrait déclencher un nouveau pic d'insolvabilité dans le secteur. 

L'Italie est confrontée à une situation similaire. Au milieu de l'année dernière, l'Italie a plongé dans une profonde récession après avoir lutté pendant des mois contre des poussées inflationnistes, des coûts énergétiques élevés et un énorme ralentissement des dépenses de consommation et des investissements. 

L'inflation croissante a entraîné un ralentissement de la demande et une baisse de la production dans le troisième secteur manufacturier d'Europe. Il en a résulté un gel du marché du travail, qui a directement affecté l'Italie. Un cercle vicieux, car cela a fini par déclencher une spirale descendante de la production et de l'industrie manufacturière qui a contribué à plus de 9 000 faillites depuis février 2023. 

La contraction de l'industrie manufacturière italienne a également eu un impact direct sur les pays voisins, comme la France. Là aussi, nous avons observé une forte hausse des défaillances : de 4 000 en février 2023 à 5 400 en février 2024. La France, deuxième économie de la zone euro, a subi la même atteinte à son PIB que l'Italie, ce qui s'est traduit par un ralentissement de l'activité d'achat, une baisse de la productivité et un gel des embauches. 

Les ralentissements persistants dans les secteurs manufacturiers de l'Allemagne, de la France et de l'Italie ont transmis des ondes de choc aux régions européennes environnantes et même de l'autre côté de l'Atlantique. 

Une légère baisse des défaillances dans l'industrie manufacturière américaine, de 3 500 en 2023 à 3 000 en 2024, reflète le climat économique actuel aux États-Unis. Dans ce pays, les fabricants peuvent être brièvement soulagés des pressions inflationnistes, mais ils ne sont pas encore sortis d'affaire. Principalement parce que les coûts augmentent et qu'il n'est pas certain que les taux d'intérêt baissent cette année.

Stabilisation des conditions au Royaume-Uni et en Irlande

L'augmentation des coûts, les nouvelles réglementations et les tensions géopolitiques, juste après la pandémie de la COVID-19, semblent à première vue être les principaux éléments qui expliquent le déclin douloureux des marges manufacturières. Mais pour approfondir les changements qui ont contribué à la récente flambée des faillites dans le monde et les défis à venir, nous nous sommes entretenus avec le professeur adjoint de gestion des opérations et de la chaîne d'approvisionnement à la Trinity Business School, le Dr Isilay Talay. Elle nous a aidés à identifier les principaux risques auxquels l'industrie manufacturière sera confrontée en 2024.

Au cours des cinq dernières années, les inondations se sont révélées être un risque commercial majeur pour de nombreux fabricants. Elles les ont incités à déplacer leurs activités hors des régions vulnérables et de faible altitude, telles que l'Asie du Sud et une grande partie de l'Amérique du Sud. 

Cependant, ce ne sont pas seulement les conditions climatiques physiques qui ont fait grimper les coûts pour les fabricants. Les politiques de lutte contre le changement climatique visant à réduire les émissions et à préserver la qualité de l'air ont également eu un impact sur les coûts et surtout sur les flux de trésorerie des fabricants et de leurs fournisseurs.

« Avec les nouvelles politiques climatiques, ce sont souvent les fournisseurs qui sont les victimes. Prenons l'exemple des pays disposant d'un marché automobile important, qui ne produisent toujours pas de véhicules électriques aussi compétitifs que les États-Unis ou la Chine. Tous les fournisseurs en amont de la chaîne d'approvisionnement sont affectés par l'introduction de nouvelles politiques en matière d'émissions », a déclaré M. Talay. 

M. Talay attire l'attention sur une stratégie couramment utilisée par les grands détaillants pour déplacer les coûts. Au lieu d'augmenter les prix de sorte que les clients doivent payer en aval pour des technologies vertes ou des matières premières plus chères, ils déplacent les coûts en amont de sorte que les fournisseurs doivent encaisser le coup. Mais comme l'argent ne remonte pas la chaîne d'approvisionnement, leurs propres fabricants et fournisseurs deviennent parfois insolvables, ce qui menace d'entraîner un effondrement complet de la chaîne d'approvisionnement.

Les conflits actuels entre la Russie et l'Ukraine et entre Israël et le Hamas ont incité de nombreux fabricants à délocaliser leur production. Ils échangent des régions ravagées par la guerre contre des régions plus sûres et plus proches de leur domicile ou contre des pays qui maintiennent des accords commerciaux harmonieux avec leur pays d'origine, comme le Mexique. De même, les relations troubles entre la Chine et d'autres économies mondiales jouent en faveur du Vietnam. Le pays se hisse au rang de pays d'accueil pour de nombreux mineurs, exploitants de carrières et fabricants de pièces automobiles américains.

« Les éléphants se battent, mais c'est l'herbe qui est piétinée. » Il s'agit d'un dicton courant dans la langue maternelle de notre partenaire porte-parole turc. Il reflète bien la façon dont la plupart des fabricants ont été affectés par les sanctions liées à la guerre.

Le recours aux sanctions économiques n'est pas nouveau. Mais l'ampleur et le nombre des sanctions prises à la suite de l'invasion de l'Ukraine par la Russie ont exposé les fabricants à des risques supplémentaires. Ils peuvent, sans le savoir, avoir des liens avec des fournisseurs ou des bénéficiaires finaux visés par les sanctions. Les sanctions ne sont pas seulement devenues un casse-tête croissant pour de nombreuses PME. Les grands fabricants dont les chaînes d'approvisionnement et les circuits de paiement sont complexes courent également un risque élevé d'enfreindre les sanctions - par inadvertance.

« Les grands fabricants n'ont pas besoin d'être insolvables pour provoquer un pic d'insolvabilité. S'ils enfreignent les sanctions, leurs bénéfices et leur part de marché chutent, ce qui se répercute immédiatement sur leurs différents fournisseurs », explique le Dr Talay.